Il est crucial que la nouvelle constitution de la Tunisie soit mise en conformité avec les normes internationales des droits humains et les obligations de ce pays au regard du droit international, ont déclaré aujourd’hui quatre organisations de défense des droits humains.
Al Bawsala, Amnesty International, Human Rights Watch et le Centre Carter, qui ont suivi indépendamment et dès son début le processus de rédaction de la constitution tunisienne, se sont associés pour mettre en lumière les principaux sujets de préoccupation de ce projet.
Une Commission des consensus actuellement en place à l’Assemblée nationale constituante (ANC) est chargée de parvenir à un consensus sur les principales questions litigieuses dans le projet de constitution, présenté au public le 1er juin 2013. Alors que l’Assemblée s’apprête à voter sur la constitution article par article, puis dans son intégralité, les travaux de la Commission, en amont de ce vote, seront décisifs. Dans le but de soutenir une transition vers une démocratie respectueuse des droits humains en Tunisie, les organisations demandent à la Commission des consensus et à l’ANC dans son ensemble de tenir compte des recommandations suivantes :
- Inclure une clause générale intégrant directement dans la législation tunisienne les droits humains tels que définis par le droit international coutumier et les traités internationaux ratifiés par la Tunisie, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Modifier la formulation des «principes universels élevés des droits de l’Homme», dans le préambule, terme qui pourrait impliquer une hiérarchie des droits humains universels, dont certains seraient plus importants que d’autres.
- Garantir que le droit interne reflète et respecte les engagements internationaux de la Tunisie en matière de droits humains. La constitution devrait préciser que tous les traités « dûment approuvés et ratifiés » par la Tunisie, sans exception, ont un statut supérieur au droit national. L’Assemblée devrait également inclure une clause stipulant que les droits et libertés énoncés dans la constitution lient les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, et tous les organes de l’État.
- Inclure une clause stipulant que les juges devraient toujours interpréter la loi, notamment la constitution, d’une manière plus favorable à l’application d’un droit ou d’une liberté fondamentale, et préciser qu’ils doivent tenir compte de l’interprétation des traités relatifs aux droits humains par tous les organes conventionnels, en tant que norme minimale.
- Renforcer les garanties des droits économiques, sociaux et culturels, en précisant que la Tunisie a l’obligation d’assurer progressivement le plein exercice de ces droits, en utilisant le maximum des ressources disponibles dans le pays, notamment en prévoyant des mécanismes spécifiques pour mettre peu à peu ces droits en œuvre.
- Consacrer les principes d’égalité et de non-discrimination devant la loi et les appliquer à toute personne relevant de la juridiction des autorités tunisiennes, les citoyens comme les étrangers. La constitution devrait préciser que la discrimination, directe et indirecte, est interdite pour des raisons de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou autre, d’origine nationale ou sociale, de propriété, de naissance ou toute autre situation, et que les lois ou politiques étatiques discriminatoires sont inconstitutionnelles.
- Énoncer le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes dans toutes ses facettes. La constitution devrait préciser que les hommes et les femmes sont égaux et ont droit à la pleine égalité en droit et en pratique, ainsi qu’à l’égalité des chances dans tous les domaines de la vie – qu’ils soient civils, culturels, économiques, politiques ou sociaux, tels que définis dans les normes internationales relatives aux droits humains. L’Assemblée devrait envisager d’ajouter une disposition visant à amener l’État à adopter des mesures positives dans tous ces domaines pour parvenir à une émancipation effective et égale des femmes.
- Veiller à ce que la portée du droit à la liberté de religion et de conscience couvre toutes les facettes de ces droits, notamment la liberté d’adopter, modifier ou renoncer à une religion ou une croyance, ainsi que la liberté de ne pas pratiquer une religion du tout et la liberté de pratiquer en public et en privé.
- Fournir une pleine protection des droits fondamentaux, notamment ceux relatifs à la liberté d’expression, de réunion, de la santé, de l’éducation, de la nourriture, de l’eau, d’association, de mouvement et le droit d’accès à l’information.
- Supprimer les restrictions énoncées dans les articles relatifs à la liberté d’expression, de réunion, d’association, de mouvement et au droit d’accès à l’information, car elles pourraient permettre la restriction arbitraire des droits fondamentaux dans les lois nationales et une érosion des droits individuels dans le futur. Au lieu de cela, la constitution devrait stipuler que toutes les restrictions aux droits et libertés devraient être limitées à celles qui sont raisonnables, nécessaires et proportionnées pour garantir un but légitime. Pour cela, il faudrait ajouter un libellé à l’article 48 (la clause générale de limitation) indiquant clairement que les droits et libertés affirmés par la constitution ne peuvent être restreints que lorsque ces restrictions sont autorisées en vertu du droit international relatif aux droits humains.
- Préciser clairement que toute restriction aux droits et libertés en état d’urgence doit être définie par la loi, manifestement nécessaire dans le but de protéger un objectif légitime, d’une manière qui soit proportionnée pour protéger cet objectif, pour une période de temps spécifique pour répondre aux exigences de la situation, et sous réserve de révision judiciaire. En outre, préciser que les droits considérés comme intangibles, ou absolus, par le droit international demeurent protégés et interdire leur restriction en vertu des pouvoirs d’urgence.
- Indiquer clairement une interdiction des traitements ou peines cruels, inhumains et dégradants et faire respecter le principe de non-refoulement, c’est-à-dire le retour forcé vers un pays où il y’a un risque sérieux de persécution.
- Intégrer les normes internationales sur l’indépendance de la magistrature, notamment l’affirmation sans équivoque de la garantie d’inamovibilité, et tout ce qui concerne la nomination, la promotion et la discipline. Préciser que la révocation des juges n’est possible que pour faute grave, à la suite de garanties d’un procès équitable et lorsque décidée par un haut conseil de la magistrature.
- Accorder à la Cour constitutionnelle, immédiatement après sa création, le plein pouvoir d’examiner la constitutionnalité des lois existantes et des lois proposées, et d’invalider les lois et articles de lois qui violent les dispositions de la constitution relatives aux droits humains. Elargir la saisine de la Cour pour le contrôle à priori des lois, qui dans le projet n’appartient qu’au seul Président de la République, aux membres de l’Assemblée du peuple selon un nombre de députés à définir dans la Constitution.
- Fixer des échéances claires pour l’entrée en vigueur des différentes dispositions de la constitution.
Pour plus de détails sur les recommandations ci-dessus, veuillez consulter :
La publication d’Amnesty International du 5 juin 2013, « Les législateurs tunisiens doivent saisir la dernière occasion qui se présente d’inscrire les droits humains pour tous dans la nouvelle Constitution de la Tunisie »
La publication du Centre Carter du 12 juin 2013, « Le Centre Carter félicite l’Assemblée Nationale Constituante pour le projet de constitution et appelle à garantir la protection des droits humains lors de la finalisation de ce projet »
La publication de Human Rights Watch du 13 mai 2013, « Tunisie : Le projet de constitution doit être revu »
Pour plus de renseignements, veuillez contacter :
Al Bawsala : Amira Yahyaoui
(+216 27 666 383)
[email protected]
Amnesty International : Lotfi Azzouz
(+216 71 353 417 +216 98 911 226)
[email protected]
Human Rights Watch : Amna Guellali
(+216 24 485 324)
[email protected]
Centre Carter : Marion Volkmann:
(+216 50 666 649)
[email protected]