Al Bawsala, Nawaat ainsi que plusieurs citoyens tunisiens du collectif OpenGov Tn (Sarhane Hichri, Souhail Alouini, Noureddine Arrami et Chedly Ghedira), ont organisé la conférence de presse « Plainte sur la question de la transparence et l’accès à l’information au sein de l’Assemblée Nationale Constituante » jeudi 30 août 2012 à l’Hôtel Africa. Les intervenants Amira Yahyaoui pour Al Bawsala, Malek Khadhraoui pour Nawaat et Souhail Alouini citoyen membre de l’OpenGov Tn, ont échangé pendant plus d’une heure et demie avec les nombreux journalistes présents dans la salle.
Souhail Alouini (OpenGov TN), Amira Yahyaoui (Al Bawsala), Malek Khadhraoui (Nawaat)
Extrait du communiqué de presse :
La plainte, qui vise à rétablir le droit du citoyen d’accès à l’information et à renforcer le principe démocratique de participation citoyenne aux prises des décisions, s’appuie sur trois principes :
- Le principe universel consacrant l’autorité ultime du peuple
- Le règlement intérieur de l’ANC qui exige la publication des informations demandées
- Le décret-loi 41 du 26 Mai 2011 [2] qui instaure le droit d’accès aux documents administratifs, modifié et complété par le décret-loi 54 du 11 juin 2011[3], et la circulaire d’application n°25 du 5 mai 2012, qui prévoient un recours au tribunal administratif en cas de litige entre une institution publique et un citoyen.
Compte-rendu de la conférence de presse
Pour présenter l’objet de la conférence de presse, Amira Yahyaoui revient d’abord sur l’historique ayant mené à cette démarche pour permettre au public de comprendre les différentes phases qui ont précédé le dépôt de cette plainte contre l’Assemblée Nationale Constituante devant le tribunal administratif le 29 août 2012. Elle rappelle « il y a d’abord eu en janvier 2012 le début de la campagne 7ell1 dont l’objectif était de sensibiliser au principe de transparence, puis la campagne 7ell2 à partir d’avril 2012 appelant à une amélioration du mode de gouvernance et l’application effective du principe de transparence dans le fonctionnement de l’ANC. Une première rencontre avec Mustapha Ben Jaâfar président de l’ANC fut organisée le 14 mai et suivie par une seconde entrevue le 4 juin. ». Elle explique que lors de ces deux rencontres l’objectif était de rappeler le principe essentiel de transparence et d’obtenir un engagement officiel de l’application imminente des promesses d’une plus grande transparence. Elle poursuit « puis deux demandes ont été explicitement formulées: la première auprès du bureau de l’ANC le 12 juillet et une seconde le 1er aout auprès de Mustapha Ben Jaâfar. Il faut noter qu’à partir d’une attente de 15 jours suivant la formulation de la demande, on peut effectivement parler d’une décision administrative de « refus tacite » de la demande [décret-loi n°41]. Ces tentatives vaines ont mené au dépôt d’une plainte le 29 août suite au non-respect des engagements annoncés en termes de transparence et accès aux travaux de l’assemblée ».
Amira Yahyaoui donne ensuite la parole à la salle pour la série de questions-réponses. Une première personne ouvre le bal des questions « je m’interroge sur ce décret-loi révolutionnaire, est-ce que la justice tunisienne va vraiment l’appliquer ? ». Souhail Alouini s’empresse de répondre en soulignant notamment « qu’a priori si nous sommes effectivement dans un Etat de droit, toutes les lois et tous les décrets-lois doivent être appliqués sans exception. La circulation rédigée au sujet de la transparence doit impérativement se retrouver dans la pratique. ».
Une seconde question portait sur le rôle des députés dans cette démarche en faveur d’une plus grande transparence « Est-ce que les députés collaborent vraiment dans cette démarche, quelle est leur attitude par rapport à cette plainte et son contenu ? ». Amira Yahyaoui rappelle que plusieurs élus sont réellement transparents et d’un soutien indéfectible à ce principe en permettant notamment au site Marsad.tn lancé par Al Bawsala d’agir en tant que réel observatoire de l’Assemblée et de mettre à disposition des citoyens des dizaines de documents, rapports, PVs, traçabilité des votes etc.
La député CPR Mabrouka Mbarek assise au premier rang prend alors la parole pour commenter cette question « il faut une révolution de concepts comme celui de la transparence alors je soutiens bien évidemment les démarches en faveur de la transparence, aujourd’hui il y a des challenges réels mais il faut remettre tout ceci dans son contexte. L’objectif était d’heurter les mentalités en parlant d’OpenGov, de transparence et le défi a été relevé dans le sens où on aujourd’hui on en parle clairement. Je considère que le rôle des représentants du peuple c’est vraiment de soutenir cette transparence ».
Malek Khadhraoui de Nawaat tient à rebondir sur le rôle des députés « la démarche de dépôt de plainte vise à instaurer une règle, un sorte de précédent utile pour les citoyens et autres associations, et il est vrai que le travail de plusieurs députés est à saluer mais je crois que la démarche doit se faire au niveau de l’Assemblée Constituante en tant qu’Institution ».
Souhail Alouini poursuit en notant que cette démarche « est non partisane, totalement apolitique mais cela n’empêche pas que des élus de divers partis acceptent de collaborer et d’aider sur le dossier de la transparence ».
Amira dit quelques mots sur l’expérience avec Al Bawsala et les échanges qu’elle a pu avoir avec l’ANC et son président sur le thème de la transparence « Nous ne voulons pas de ces restrictions d’accès aux résultats des votes, présences et absences des élus et travaux des commissions. Lorsqu’on en a discuté, les arguments évoqués par l’administration étaient par exemple que les séances plénières étaient diffusées à la télévision et que c’était une bonne chose, pourtant ça n’est pas du tout suffisant pour que l’on puisse réaliser un réel travail de suivi de la transparence et de diffusion des travaux de l’ANC. Il en faut bien plus, ces arguments sont caducs. Je vous donne l’exemple des votes : on nous dit qu’il est impossible techniquement de savoir « qui a voté quoi » car le système de vote ne le permet pas, or je me suis rendue dans la cellule de votes à l’Assemblée et à chaque fois un papier sort avec le vote et nom de l’élu. C’est donc une question de manque de volonté et non un problème technique. De même, on nous dit que des rapports sont bien publiés sur le site de l’ANC mais il n’y en a que 6 et il s’agit seulement des conclusions des débats qui ne sont pas les plus intéressantes pour nous, ce qui nous intéresse c’est d’avoir accès aux débats, aux différents arguments pour comprendre pourquoi on en est arrivé à cette version du texte. Ce refus de diffuser les PVs pose problème. Marsad.tn a diffusé 120 PVs à ce jour dont aucun n’a été publié sur le site officiel de l’ANC. Il faut rappeler aussi qu’énormément d’ONGs ont besoin de ces documents pour faire campagne, pour leur travail d’analyse, et des citoyens s’y intéressent. Il ne faut pas que l’assemblée soit coupée des tunisiens, elle doit être l’assemblée de tous les tunisiens. ».
Malek de Nawaat considère « qu’une des demandes les plus importantes de cette plainte est l’accès au registre de présence des élus, c’est une chose fondamentale pour savoir si le règlement intérieur est respecté car rappelons que celui-ci n’autorise que trois absences et qu’il existe des sanctions pouvant aller jusqu’à la radiation des députés en cas d’absences répétées. Ceci pourrait même changer les rapports de force dans l’assemblée et c’est une des informations les plus gardées de ce pays ! ».
Souhail d’OpenGov Tn revient sur les campagnes 7ell « la campagne 7ell 1 se déroulait au moment de la rédaction du règlement intérieur de l’ANC et l’objectif était de voir le mot transparence inscrit dans le règlement. A ce moment là, de nombreux élus avaient posé des pancartes 7ell sur leurs bureaux, ce fut un succès. ». Il reprend « puis il y a eu 7ell 2 toujours en cours et qui veut que cette transparence du règlement intérieur soit réellement appliquée dans les faits. ».
L’avocat Mohamed Salim Bouderbala prend alors la parole pour émettre un avis plus juridique « il faut rappeler que sous Ben Ali le principal problème était l’écart très important entre les lois et leur application. Aujourd’hui après la révolution c’est inadmissible que la loi en vigueur ne soit pas appliquée. Enfin, soulignons que le tribunal administratif même sous Ben Ali a toujours réussi à maintenir une certaine indépendance par rapport aux autres instances ».
Maître Badreddine Ben Youssef tient à préciser quelques éléments « le gouvernement tunisien avant/après la révolution n’a jamais cessé d’exister, il est donc obligatoire et de la responsabilité de l’Etat de connaître ses engagements internationaux et dans l’ordre juridique national. Prétendre que la Constituante ne reconnaîtra pas certaines lois qui ont été prises antérieurement par exemple c’est dire que l’Etat n’existe pas, en droit international public l’Etat doit reconnaître à la fois la législation prise au niveau international et au niveau national ; la loi existe, et est exécutable, elle doit sans aucun doute être appliquée ! ».
Malek de Nawaat rajoute par ailleurs qu’il s’agit « d’une question d’exemplarité. Si l’Assemblée Constituante ne respecte pas les lois – en l’occurrence sur la transparence- comment lui faire confiance pour l’élaboration des lois ? La question se pose. ». Un journaliste demande aux intervenants s’ils ont consulté l’avis d’experts pour le dépôt de cette plainte. Amira Yahyaoui explique la démarche « nous avons en effet travaillé avec un collectif de quatre avocats composé de Mohamed Salim Bouderbala, Kaïs Berajeb, Badreddine Ben Youssef, Mohamed Jed Mrabet ».
Olivia Gré responsable du bureau RSF Tunis partage son impression « il y a plusieurs problèmes relatifs à la transparence et au dialogue, par exemple la commission parlementaire chargée de réviser les lois est complètement injoignable de notre côté, les rendez-vous sont incertains, ça traine beaucoup. Je partage donc votre inquiétude, il faudrait un bureau de dialogue bien plus efficace que celui qui existe actuellement à l’ANC et ça manque vraiment de sens de l’organisation malgré les bonnes volontés ». La députe CPR Mabrouka Mbarek répond à Olivia en apportant son expérience d’élue et la difficulté à tout concilier « la réalité de l’ANC doit être soulignée, nous avons des moyens limités, c’est quelque part le système D, on n’a pas de bureau, pas d’assistant, pas de téléphone et on doit remplir une triple mission : élaborer des lois avec la société civile – j’en ai notamment élaboré une-, consulter les citoyens, régler leurs problèmes et en même temps se consacrer à la rédaction de la constitution. C’est pour cela que le rôle de collectifs et ONGs comme OpenGov Tn et Al Bawsala est essentiel car ils réussissent dans cette mission. ». La responsable RSF s’interroge alors « mais le pouvoir législatif aujourd’hui doit justement vous permettre de réformer votre cadre de travail non ? Personne n’en voudra aux élus de travailler dans de meilleures conditions ». La députée CPR poursuit « il y a bien sur des revendications concernant le cadre de travail mais on se débrouille, mais une chose exceptionnelle est à souligner, vous pouvez désormais compter sur la société civile et la révolution l’a prouvé. La société civile est le premier partenaire pour les élus. ».
Amira Yahyaoui rebondit sur le sujet en expliquant « qu’il y a un réel manque de moyens à l’ANC par exemple pour joindre la députée Mabrouka Mbarek pour des PVs c’est directement à elle qu’il faut s’adresser et non à son assistante ce qui serait plus simple. Ça on le comprend et on ne peut pas demander aux députés de faire des choses au dessus de leurs moyens. Mais par exemple mettre les PVs en PDF sur le site internet de l’ANC c’est largement faisable. Marsad.tn -et d’autres initiatives comme Nawaat et OpenGov Tn- ont même proposé à Mustapha Ben Jaâfar de fournir le site relooké avec une équipe qui travaille gratuitement au service de l’ANC et cela a été refusé. On a donc le droit de s’indigner. ».
Souhail Alouini partage son point de vue sur cette thématique « on n’a pas eu de vrai parlement ni de démocratie pendant cinquante ans donc nous sommes dans une phase de création, avec un manque de moyens mais une société civile proactive. On n’est pas là pour s’opposer à l’ANC mais au contraire pour l’aider dans sa mission et approfondir la gouvernance et transparence ; c’est cela la démocratie participative, c’est proposer, et construire pour le meilleur ». Olivia de RSF partage ce point de vue mais met en garde « bien sûr et c’est compréhensible mais j’ai l’impression que la société civile n’est pas réellement entendue par le haut et le risque est que cette énergie fabuleuse ne s’essouffle. Espérons qu’elle ne s’essoufflera pas. ».
Une journaliste revient sur la question des moyens de l’ANC précédemment évoquée « l’ANC a pourtant tous les moyens logistiques, financiers, informatiques et les fonctionnaires sont nombreux pour remplir cette mission. C’est plutôt une excuse couvrant un manque de volonté ».
Pour ce qui est du motif de la plainte, Amira Yahyaoui d’Al Bawsala souligne « qu’il s’agit d’une plainte contre l’ANC c’est-à-dire son bureau, et non contre les députés. C’est tout à fait différent mais c’est une erreur récurrente qu’il faut corriger. ».
Un militant associatif souhaite poser une question sur la situation actuelle et à venir « mais là où va-t-on car la fin du mandat de l’ANC est dans deux mois pile. Vous n’auriez pas dû porter plainte avant et pour les autres dépassements ? Par ailleurs, j’ai l’impression que la justice n’est toujours pas indépendante ! ». Souhail Alouini lui répond « un de nos juristes a précédemment expliqué que si justement la cour administrative a conservé une certaine indépendance depuis des années. Nous voulons être proactifs, on a initié cette action en justice pour avoir une jurisprudence en espérant avoir gain de cause mais nous ne voulons pas entrer dans les polémiques politiques ça n’est pas l’objet de notre initiative. Notre but est la transparence et la démocratie dans notre pays pour lequel on a fait la révolution. ». Amira répond également « ce qui est inédit dans notre plainte, c’est qu’il y a des citoyens et associations rassemblés. Vous êtes vous-même d’une association vous pouvez aussi porter plainte en justice, nous on ne peut pas tout faire et justement le but de notre révolution était que chacun puisse faire ce qu’il souhaite faire, que l’on soit différent dans des actions différentes mais complémentaires. ».
Avant de quitter la salle la députée CPR souligne que malgré tout « les élus sont responsables devant ces associations proactives et ont peur de ce qu’elles vont pouvoir diffuser sur eux d’une certaine manière (votes de l’ANC), il y a une pression permanente mais qui est justement nécessaire et saine. ».